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3/31/2013

A la recherche du bonheur




Pourquoi certains semblent faits pour être heureux, alors que d’autres enchaînent les malheurs ? Peut-on assurer à ses enfants une vie radieuse ? Pour le savoir, nous avons interrogé le Dr Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et auteur de "De chair et d’âme" paru aux éditions Odile Jacob. Il nous explique les recettes du bonheur.

Doctissimo : Existe-t-il une définition du bonheur ?

BonheurDr Cyrulnik : Le bonheur est un concept totalement hétérogène. Il est souvent confondu avec le bien être, la réussite ou l’ascension sociale. Ce mot désigne ainsi des évènements de nature totalement différente. Chacun a sa propre conception du bonheur et ses sources de malheur. Et cela évolue avec l’âge. Mais pour être heureux, il faut que plusieurs conditions soit réunies, tant au niveau physiologique qu’environnementales, notamment dans les premiers mois de vie. Nous ne sommes pas dans une approche cartésienne avec une cause qui aura un effet. Plusieurs éléments sont essentiels au bonheur, et si l’un d’entre eux fait défaut, tout s’effondre.

Doctissimo : Qu’entendez-vous par aspect physiologique ? Certaines personnes sont-elles faites pour être heureuses ?

Dr Cyrulnik : On sait qu’il y a des gens dont le cerveau est capable de transporter une grande quantité de sérotonine. Ce neuromédiateur est à l’origine des sentiments de plaisir et de bien-être. Ils vont être stimulés cérébralement, plus éveillés. Ils auront en quelque sorte le "bonheur facile". Mais cela ne suffit pas pour être heureux ! Il faut une sécurité et une stimulation affective et sociale. Si l’on met ces gens-là dans une situation d’isolement affectif, de privation sensorielle, on aura une baisse de la sécrétion de sérotonine. Un gène ne peut pas s’exprimer s’il n’y a pas un environnement favorable.

Doctissimo : Vous citez comme période clé les premiers mois de vie. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dr Cyrulnik : Les dernières semaines de grossesse et les premiers mois de la vie sont essentiels. Les enfants doivent être très entourés pendant les premiers mois. Deux enfants sur trois vont bénéficier de cet environnement "secure". Ils vont pouvoir prendre du plaisir à explorer le monde et apprendre, car ils sont rassurés par des relations "routinières, stables et rythmées". Même un "petit transporteur" de sérotonine qui va bien être entouré dans les mois qui suivent sa naissance sera plus facilement heureux. A l’inverse, même un "gros transporteur" de sérotonine, s’il ne reçoit pas l’attention adéquate après sa naissance, sera plus facilement malheureux.

Doctissimo : Chômage, insécurité, guerre, on a l’impression d’être entouré de mauvaises nouvelles. Quelle influence peuvent avoir ces informations sur ce sentiment de bonheur ?

Dr Cyrulnik : Le bonheur est un sentiment qui évolue et prend forme à partir d’une représentation. Quand vous allez au cinéma, même si vous savez que ce qui passe à l’écran n’est pas vrai, vous allez pleurer, rire, avoir peur… C’est la même chose quand on est baigné de représentations qui racontent en permanence des malheurs. Les récits sont tellement affreux qu’ils vont déterminer nos sentiments même s’ils ne correspondent pas exactement à la réalité.

Doctissimo : Pensez-vous que "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", comme le disait Nietzsche ?

Dr Cyrulnik : C’est faux ! Quand on subit un traumatisme, on devient plus sensible aux traumatismes ultérieurs. Les gens blessés deviennent de plus en plus faciles à blesser. Regardez la dépression. Les rechutes interviennent généralement pour des causes de plus en plus légères. Plus on maltraite les gens, plus on les rend malheureux !

Doctissimo : La France présente l’une des plus fortes consommations d’antidépresseurs. Est-on plus malheureux dans l’Hexagone ?

Dr Cyrulnik : D’abord, il faut rétablir une contre-verité : ce n’est pas la France qui consomme le plus d’antidépresseurs mais l’Iran ! Et si la France consomme beaucoup plus que d’autres pays européens, c’est aussi parce que souvent l’anxiété et la dépression ne sont pas soignées là-bas !
Mais il est vrai que les antidépresseurs sont un palliatif à notre défaillance culturelle. Car le traitement logique serait de favoriser la sécrétion naturelle de sérotonine dans notre société : d’organiser la famille et les institutions pour mieux entourer les enfants, avoir une école moins oppressante… Et chez les adultes il serait important de favoriser les groupes et les relations sociales qui protégent. Mais on a tendance à privilégier l’aventure individuelle. Or pour être dans un groupe, il faut savoir renoncer à une partie de son épanouissement personnel.
Alain Sousa
Créé le 28 décembre 2006

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