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3/31/2013

Faut-il avoir un idéal pour être heureux ?


"L'idéal donne du sens à notre existence" affirme le philosophe Michel Lacroix. Décisif pour notre vie, il suppose un réel engagement de notre part. Toutefois, il peut également nous desservir. Le point sur les bienfaits, ses écueils et comment en faire un moteur dans la réalité.

Doctissimo : Quelle pourrait être votre définition de l'idéal ?

Michel Lacroix : C'est une valeur morale que je privilégie, autour de laquelle je vais mettre de la passion, et qui va donner du sens à ma vie. Incontournable pour un bon équilibre psychique, un idéal va me pousser à me dépasser. Au nom de cette valeur, je vais vouloir transformer la réalité : elle va alors devenir un levier de changement fabuleux.

Doctissimo : Avons-nous tous un idéal ?

Bonheur idéal  Michel Lacroix : Nous avons tous en nous inscrit un idéal du "moi", qui nous permet de nous projeter dans un avenir. Ne serait-ce que dans l'idée de la personne que l'on veut devenir, ou plus concrètement, le choix d'une profession, ou d'une relation amoureuse ! Qu'il soit enfoui, en demi-teinte ou inconscient, nous sommes tous concernés par un idéal, certains sont en veilleuse. Ceux qui ont émergé en force à l'adolescence ont pu s'étioler, mais ils peuvent aussi resurgir.

Doctissimo : Pourquoi avoir un idéal peut-il nous rendre heureux ?

Michel Lacroix : Il faut être idéaliste, rien de grand ne peut se faire sans idéal. C'est le carburant de la vie collective, bien sûr, mais personnelle aussi. Il signe en somme notre identité. On s'aperçoit que les champs offerts à l'idéal ne manquent pas. L'écologie, en tant qu'idéal de l'homme réconcilié avec la nature. La prise en compte de la diversité, comme idéal de la tolérance… A condition qu'il ne soit pas trop envahissant, obsessionnel, et donc dangereux.

Doctissimo : Poursuivre son idéal représente aussi un danger. C'est-à-dire ?

Michel Lacroix : Les dangers sont multiples. Il y a le danger de l'erreur. Vous pouvez poursuivre un idéal qui ne correspond pas à votre personnalité profonde. Dicté par la société, la famille… L'idéal peut vous amener à vous couper de la réalité, ou des autres, au profit de votre bulle, dans un face à face magique et onirique. Quand l'amour devient un idéal de vie par exemple, il peut arriver qu'on ne risque pas le réel, le quotidien. Alors le danger de la destruction du réel menace, et les opportunités d'accomplir son idéal ne sont pas saisies…

Doctissimo : Est-il possible de combiner son aspiration à l'idéal et son implication dans le réel ?

Michel Lacroix : Ce n'est pas seulement possible mais souhaitable. C'est même la seule voie envisageable. Il faut trouver un équilibre. En amour par exemple, il s'agit d'accepter plus de réalisme, et de renoncer à un idéal fusionnel ou romantique, sans forcément tomber dans le désenchantement, ni le cynisme. L'harmonie totale n'existe pas. Professionnellement aussi, je prône une forme d'ambition tempérée. Face en particulier à la pression de l'excellence, et la constance d'un changement technologique… Le désir de réussite est nécessaire, à condition que cela ne tourne pas à l'obsession.

Doctissimo : Selon vous, de quoi aurions-nous besoin aujourd’hui pour retrouver le goût d’un idéal ?

Michel Lacroix : Sachons être plein de gratitude pour ce que nos ancêtres nous ont légué, à charge pour nous de l’améliorer, mais sachons y voir les traces d’idéaux concrétisés. Nous avons souvent tendance à ne voir que les imperfections, à adopter une posture de dénigrement systématique… Prenons un peu de recul historique et reconsidérons les acquis récents, je veux parler en particulier de notre système de santé et d’éducation pour tous, ou des droits de la femme, de nos institutions démocratiques. Pour moi, ce sont des percées de civilisation qui sont la traduction des grands idéaux du XIXe siècle. Elles sont imparfaites, certes, mais elles ont le mérite de concrétiser certaines aspirations. Apprenons à les voir non pas systématiquement à travers le prisme de la critique et du ressentiment, mais aussi avec une forme de reconnaissance pour ce qu’elles incarnent d’idéal. Ce qui devrait nous permettre d’aller plus loin…

Doctissimo : Plus qu'un monde pétri d'idéal, il semblerait que ce soit le chaos ?

Michel Lacroix : C'est le chaos qui, par opposition, peut déclencher un idéal de bonheur, comme en témoigne l'engouement récent de nos contemporains pour ce dernier.
Peut-être le chaos actuel est-il une opportunité ! Les idéaux se forgent aussi dans le creuset de nos souffrances. C'est le cas de Mandela, qui parce qu'il est victime de discrimination, poursuit un idéal de réconciliation et de tolérance. Nous sommes ainsi faits que l'épreuve qu'elle soit personnelle ou collective se révèle souvent le terreau dans lequel naissent nos idéaux. Elle va susciter un engagement de certains pour faire de cette épreuve, l'occasion d'une résilience, que ce soit à travers la création d'association, d'un mouvement, d'une marche… au nom de cet idéal.
Catherine Maillard
Créé le 27 janvier 2010
* Michel Lacroix a reçu le prix Psychologies Fnac 2010.

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